La mondialisation des échanges, des économies et des cultures s’est en partie faite sous le signe de l’occidentalisation. Cette mondialisation, on l’a vu, a bouleversé les modes de vie, repères, et fonctionnements des sociétés, provoquant chez certains une crise identitaire pouvant trouver une réponse dans le fondamentalisme religieux où les sociétés occidentales modernes et leurs nouvelles valeurs et moeurs sont critiquées voire combattues. Une fois qu’on a dit ça, on se dit que pour les courants fondamentalistes, la mondialisation c’est moche, pas beau, caca boudin… or, c’est plus compliqué que ça.
La mondialisation, facteur de diffusion
Même si le fondamentalisme se pose en opposant de la société moderne occidentalisée et mondialisée, il en est aussi le fruit.
Grâce à Internet, tout mouvement peut potentiellement atteindre le monde entier. Les frontières géographiques ne sont plus une limite. Il y a ainsi désormais une dissociation de plus en plus marquée entre un phénomène religieux et sa culture d’origine.
Comme on l’a vu précédemment, la religion faisait auparavant partie intégrante de la vie des occidentaux. Dieu était une évidence au même titre que le feu brûle et qu’après la vie vient la mort. Même lors des guerres de religion, avec en point d’orgue la tristement célèbre Saint-Barthélémy, ce n’était pas l’existence de Dieu qui était remise en question mais sa représentation et la façon de l’honorer. La religion faisait ainsi partie de la vie quotidienne, il est donc logique qu’elle ait été très liée à la culture (mode de vie, coutumes, fêtes, etc.).
Adhérer à une religion s’était aussi adhérer à une culture. A l’inverse, ne pas être de cette culture rendait moins évidente la possibilité de voir des individus se convertirent librement à une religion autre que celle dans laquelle ils avaient grandi. On a du mal à imaginer des milliers de chrétiens au XVe siècle se découvrir une passion pour l’hindouisme, aller en retraite en Inde, diviser la société en castes et refuser de tuer les vaches. D’une part évidemment parce qu’aller en Inde au XVe siècle relevait plus de la longue aventure risquée et coûteuse que du simple voyage touristique ; mais également parce que la culture indienne était trop différente du mode de vie occidental de l’époque et les communications entre populations (en dehors des commerçants) trop rares pour qu’il y ait de réels échanges culturels mutuels.
Cependant à la fin du XVe siècle justement, un tout nouveau phénomène s’amorça : la mondialisation. Oui, oui, déjà ! La mondialisation a en fait commencé dès la découverte de l’Amérique et la mise en place du commerce triangulaire.
Des populations de cultures radicalement différentes se retrouvèrent ainsi à vivre ensemble sur un même territoire, de gré ou de force, pour le meilleur et souvent pour le pire : populations indigènes, esclaves noirs, colons et autres populations immigrées asiatiques appelées en renfort pour travailler dans les mines et plantations au sein des empires coloniaux. En naquit des cultures et religions hybrides, mélanges ou adaptations de cultures et religions importées. Un des exemples les plus connus qu’on peut donner est celui du Vaudou ! Originaire d’Afrique de l’Ouest, il s’est répandu dans les Caraïbes avec l’importation d’esclaves Africains à partir du XVIIe siècle. Peu à peu ce vaudou américain intégra des rites et conceptions chrétiennes, les conversions collectives forcées des esclaves noirs étant courantes à l’époque, créant alors une forme hybride du vaudou d’origine.
Le contexte et les raisons de ces transformations, diffusions et hybridations des religions et cultures varièrent selon les époques, les régions et les populations concernées. Le tableau que je suis en train de faire est très schématique, mais cette simplification me parait nécessaire dans un premier temps pour ne pas vous perdre en détails.
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’à partir des grandes découvertes puis plus tard des grands empires coloniaux, certaines religions ont commencé à se détacher à la fois du territoire et de la culture dont elles étaient originaires. C’est ce que le politologue Olivier Roy[1] appelle le phénomène de déterritorialisation et de déculturation du religieux. Ce phénomène s’est accentué avec la mondialisation des échanges depuis le milieu du XXe siècle et plus encore avec l’apparition d’internet. A partir de ce moment, la diffusion d’une religion devint plus facile puisque potentiellement accessible aux quatre coins du monde, quelles que soient les communautés religieuses majoritaires d’un pays et la religion ou culture religieuse dans laquelle on a pu (ou non) grandir.
Certaines religions sont plus à même de profiter de cette déterritorialisation, comme l’islam ou le protestantisme évangélique par exemple, car leur relation à Dieu y est plus directe et individuelle que dans la religion catholique par exemple. Le catholicisme a en effet plus de difficultés à se déterritorialiser et déculturer puisque l’attachement à la paroisse, son église et le culte des différents saints est important et ancre la religion dans l’espace.
Pourquoi les fondamentalismes profitent-ils plus facilement de la mondialisation ?
On l’a vu dans le précédent article, le message simple et manichéen des fondamentalismes religieux les rend plus faciles d’accès, même aux populations n’ayant pas la même culture et histoire. Il suffit de regarder la diffusion du mormonisme dans le monde. Oui oui, les mormons !
Aujourd’hui, à l’heure d’internet et des échanges mondialisés, le mormonisme connaît proportionnellement au nombre de ses fidèles un des développements les plus importants. Leur communication et prosélytisme ne passe plus seulement par le porte-à-porte mais par Internet : site internet, Facebook, Twitter, Youtube, Google +, Instagram, autant de réseaux sociaux modernes et mondialisés pour attirer une population plus hétéroclite en mettant en avant les témoignages de convertis de différents âges, origines, cultures et catégories sociales. Plus le profil du converti est en apparence éloigné du cliché que nous avons, mieux c’est. Les membres de la communauté payant la dîme[2] à l’Eglise mormone, les revenus de cette dernière lui permettent de s’implanter ensuite territorialement par la construction de temples et églises.
La mondialisation profite donc aux fondamentalismes par la représentation médiatique qu’elle permet, même pour un mouvement minoritaire au sein d’une communauté religieuse.
Le phénomène de déculturation évoqué plus haut est également propice au développement de mouvements fondamentalistes. Pour comprendre ce phénomène, petit retour historique.
On l’a vu, jusqu’au XXe siècle le religieux faisait partie de la vie quotidienne publique et de ce fait de la culture de la population. Mais aujourd’hui il en est tout autrement. Les sociétés se sont laïcisées et le religieux fait désormais seulement partie de la sphère privée voire intime de chacun. La culture s’est ainsi elle aussi peu à peu laïcisée, sécularisée. Les mœurs ont évolué, de plus en plus distantes des principes religieux édictés il y a plusieurs siècles à des époques et dans des contextes historiques et culturels totalement différents[3].
Cette distance de plus en plus grande entre la culture de la société et le religieux amène certains à penser qu’il existerait un phénomène religieux totalement « pur » de toute culture, comme émanant directement de Dieu sans aucune interférence culturelle et donc humaine[4]. Et comme on l’a vu précédemment, un tel chemin de pensée relève du fondamentalisme religieux, le croyant faisant une lecture des Ecrits comme étant la parole directe de Dieu, le contexte historique et culturel d’écriture n’ayant aucun impact.
Mais c’est oublié que, qui dit Ecrit sacré, dit langue. Or la langue est un objet éminemment culturel, en perpétuelle évolution. Le sens d’un mot évolue au fil des années et des siècles, sans parler du problème de la traduction, je dirais même des traductions, qui ne peuvent que se rapprocher du sens original, mais difficilement l’atteindre totalement. Une langue véhiculant des références culturelles et historiques propres, elle n’est pas neutre.
Prenons par exemple la Bible. Elle fut d’abord rédigée en hébreu, puis en araméen, en grec, en latin et enfin en langues vernaculaires[5] ; j’ajouterai que chaque langue a elle-même évolué avec le temps. Le latin du Ier siècle est par exemple très différent de celui qu’on peut trouver dans des textes du XIIIe siècle… En plus de mille ans, une langue a le temps d’évoluer et se transformer[6] ! Faire une lecture littérale des Ecrits en occultant le contexte culturel de l’écriture originelle puis des différentes traductions pose donc problème, tout comme l’idée qu’il existerait du pur religieux.
Quoiqu’il en soit, la distance de plus en plus grande entre culture et religieux encourage cette idée, et avec elle le fondamentalisme.
En résumé
La mondialisation est un terreau pour les fondamentalismes religieux à plusieurs titres. D’une part, parce que le nouveau modèle de société qui s’est diffusé sur le modèle occidental a bouleversé les sociétés traditionnelles et leurs repères. Parmi les exclus ou marginalisés de ce nouveau modèle, certains se tournent vers les fondamentalismes religieux. Ceux-ci leur promettent une place, un rôle et une vision simple du monde, et c’est par leur opposition aux sociétés occidentalisées et sécularisées actuelles que les fondamentalismes trouvent leur raison de vivre. Les phénomènes de déterritorialisation et déculturation liées à la mondialisation ont également favorisé la diffusion des fondamentalismes en détachant le religieux de sa culture d’origine.
Mais c’est également grâce aux nouveaux moyens de communication eux-mêmes, réels ou numériques, que les mouvements fondamentalistes peuvent se diffuser à échelle mondiale même si le nombre de leurs fidèles demeure minoritaire. Internet représente une porte ouverte sur le monde qui leur permet une visibilité qu’ils n’auraient pu espérer il y a cinquante ans.
C’est donc finalement à la fois contre et grâce à la mondialisation que les fondamentalismes religieux ont pu trouver un écho de plus en plus important à l’échelle mondiale, en terme de conversions mais également (surtout ?) en terme de visibilité médiatique.
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Bibliographie
Ouvrages :
Aldridge Alan. Religion in the contemporary world, Cambridge : Polity Press, 2007 (2e édition)
Christiano Kevin J., Kivisto Peter, Swatos William H., Jr. . Sociology of Religion, Rowman & Littlefield Publishers, 2008 (2e édition)
Herriot Peter. Religious fundamentalism. Global, local and personal, New-York : Routledge, 2009
Roy Olivier. La Sainte Ignorance : Le temps de la religion sans culture, Paris : Seuil, 2008
Article :
Le Bars Stéphanie. « Les religions à l’épreuve de la mondialisation », Le Monde, 21/12/2008 [en ligne] (consulté le 22/07/2016)
[1] Roy Olivier. La Saint Ignorance : le temps de la religion sans culture, Paris : Seuil, 2008
[2] La dîme : impôt versé à l’Eglise équivalent à 10% des revenus
[3] Cette affirmation ne doit pas faire oublier cependant qu’on ne fait pas table rase d’une culture. Les principes judéo-chrétiens se retrouvent encore dans nos mœurs et traditions.
[4] Olivier Roy donne une explication claire et détaillée dans son ouvrage pour ceux qui veulent creuser le sujet.
[5] Langue vernaculaire : langue parlée dans une région ou une communauté. Pendant longtemps dans le royaume de France, la langue officielle écrite était le latin, et la langue parlée la langue régionale puis plus tard le français.
[6] Repensez simplement aux pièces de théâtre du XVIIe étudiées au lycée (Molière, Phèdre, Corneille) et les notes de bas de page nécessaires pour expliquer tel ou tel mot de vocabulaire que plus personne n’utilise aujourd’hui.
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