Nota Bene
  • Home
  • Billet d’humeur
  • Planète
  • Société
  • International
  • France

Le fondamentalisme religieux – Partie 2 / Une réponse aux bouleversements des XIXe et XXe siècles

By Laëtitia • 23 juillet 2016 • Société

On l’a vu dans l’article précédent, le fondamentalisme religieux consiste à croire et respecter à la lettre les paroles et règles d’une religion écrites il y a plusieurs siècles voire millénaires, indépendamment de l’évolution des sociétés. Il cherche littéralement à revenir aux fondements de sa religion. Minoritaires en proportion du nombre de croyants, les mouvements fondamentalistes connaissent cependant une forte expansion à travers le monde depuis quelques décennies, alors même que les sociétés sont de plus en plus sécularisées et laïcisées. Un paradoxe qu’on va tenter ici d’éclaircir.

Etre en opposition comme raison d’être

Ce qui distingue le fondamentaliste, c’est qu’il s’inscrit en opposition, en réaction à quelque chose ou quelqu’un. C’est sa raison d’exister. Comme l’explique très bien Peter Herriot dans son ouvrage[1], les fondamentalistes ont besoin d’avoir un ennemi. Un ennemi d’autant plus facile à identifier que les fondamentalistes sont dualistes, c’est-à-dire qu’ils séparent le monde en deux catégories : Dieu et Diable, bien et mal, vérité et mensonge, etc. Ça ne peut être que blanc ou noir, pas gris.

Une telle pensée permet de rendre le fondamentalisme très simple à comprendre et donc facile d’accès. Il apporte ainsi le réconfort de ne pas avoir besoin de douter : on est du bon ou du mauvais côté. Dans cette logique, le fondamentaliste chrétien par exemple considère la Bible comme la Parole de Dieu. Au sens littéral. Tout y est à prendre au premier degré en tant que Vérité donnée par Dieu. Pour lui, Adam et Eve, l’Arche de Noé et l’Immaculée Conception sont des événements historiques.

Une telle vision du monde est aux antipodes du mode de pensée occidental actuel, basé sur la raison et la logique, où le fondamentalisme est considéré comme arriéré, ridicule, voire dangereux… Or cette défiance ne fait que renforcer les convictions du fondamentaliste. L’idée que le monde est ligué contre soi ne fait que renforcer son isolement et le sentiment d’être du juste côté. C’est soi et sa communauté contre les autres. La Vérité contre l’Ignorance. Le Bien contre le Mal.

Le monde occidental moderne, l’ennemi par excellence

Pour paraphraser Peter Herriot, les fondamentalistes pensent que leur religion est sous la menace du monde moderne et de la sécularisation[2] des sociétés. Cette menace omniprésente permet au mouvement de demeurer dans une dynamique de lutte et d’action perpétuelle malgré leur petit nombre.

Pourquoi un tel rejet ? Parce que le monde moderne place l’être humain au centre de sa pensée et non plus Dieu.

Avant le XIXe siècle, la religion était en Europe la principale autorité morale et l’une des bases de l’identité et de la vie des individus. Mais voilà, les découvertes scientifiques ont peu à peu mis à mal cette autorité et les vérités et règles qu’elle imposait : La création du monde en sept jours, l’homme créé à l’image de Dieu, Adam et Eve chassés du jardin d’Eden, tout ça envoyé valsé par les découvertes scientifiques, géologiques, astronomiques et médicales. Avant, la religion expliquait le monde et les phénomènes naturels, désormais c’est la science.

Les sociétés européennes, française encore plus, ce sont peu à peu laïcisées, faisant de la religion un choix personnel et non plus une obligation sociale. Dans ces sociétés laïcisées, ce n’est plus Dieu qui décide du destin des Hommes, mais les Hommes eux-mêmes qui sont considérés comme responsables de leur sort. Les explications surnaturelles et divines ont été remplacées par les explications scientifiques. Les institutions, la justice et les lois qui régissent les sociétés occidentales sont désormais considérées comme des créations humaines et culturelles, et non plus comme la volonté directe de Dieu.

Phénomène apparu au début du XXe siècle, c’est donc en réaction à la culture moderne occidentale que le fondamentalisme religieux s’est développé. En réaction au phénomène de la mondialisation, les mouvements prennent depuis quelques décennies une ampleur plus importante et se diffusent à travers le monde.

Perte des repères traditionnels et crise identitaire

C’est au moment où le modèle de la société occidentale moderne et laïcisée se diffuse à travers le monde que le fondamentalisme religieux fait de nouveaux adeptes. Ça peut paraître paradoxal au premier abord, mais c’est en fait assez logique.

On vient de le voir, la société occidentale moderne donne une place centrale non plus à Dieu mais à l’être humain. Ce changement s’est amorcé au XVIIIe siècle, siècle des Lumières.

Petit rappel de l’ambiance de l’époque : des salons nobles et bourgeois, lieux de lectures et discussions autour de penseurs aux idées subversives : critique de l’Eglise, moquerie de la bigoterie, mépris de la croyance aveugle, éloge de la science et du raisonnement logique. Que du politiquement incorrect.

Ces idées confinées dans les salons au XVIIIe siècle sont aujourd’hui devenues  nos nouveaux repères, auxquels s’est ajouté un profond bouleversement de nos modes de vie grâce aux progrès techniques et scientifiques fulgurants qui ont marqué le siècle dernier (transports, industrie, électricité, médecine,…).

En simplifiant un peu, la société était auparavant hiérarchisée dans tous les aspects de la vie d’un individu, de sa naissance à sa mort. Au niveau politique l’autorité était imposée par un système féodal. Au niveau religieux, les dogmes, croyances et pratiques étaient dictées par l’Eglise. Au niveau social, le principe de filiation était le plus souvent de mise ; on succédait à son père dans la ferme, l’entreprise familiale ou la corporation. La réputation d’une personne était liée à la réputation de sa famille…. Bref, dès sa naissance le chemin était tout tracé, il suffisait de suivre la tradition et l’ordre établi.

Mais voilà qu’à partir du XIXe siècle la modernisation en Europe bouscule peu à peu cette sacro-sainte Tradition. Ce n’est plus Dieu mais l’homme[3] qui est placé au centre de la société et son bonheur dépend désormais de ses propres choix et non plus de la simple volonté divine.

Ce nouveau paradigme peut être considéré comme un merveilleux vent de liberté ouvrant la porte à tous les possibles, mais également comme un plongeon angoissant dans le doute et l’insécurité ! Eh oui, ce n’est plus Dieu, l’Eglise, le roi, le seigneur ou le patriarche qui est responsable de notre sort, mais nous-même…

Auparavant les inégalités sociales étaient omniprésentes dans la société, mais pour une part elles faisaient partie de l’ordre établi par Dieu.  Or avec la modernisation et la laïcisation de nos sociétés, de nouvelles formes d’inégalités sociales et économiques sont apparues. Elles furent cette fois non plus considérées comme inévitables mais comme des injustices créées par l’homme, et furent le terreau de mouvements de contestations et revendications. De quel droit un groupe d’hommes auraient plus de pouvoir et de privilèges qu’un autre ?

Au XXe siècle, deux idéologies sont nées de ces contestations sociales : le communisme et le fascisme[4].

Pour des populations déracinées ayant quitté la vie rurale pour s’entasser aux abords des grandes villes en plein essor industriel et n’y trouver que pauvreté, précarité ouvrière, et perte de repères traditionnels, l’adhésion à ces idéologies permit de combler le vide laissé par la religion qui assurait auparavant la base de l’identité sociale.

Lorsque le fascisme puis le communisme montrèrent leurs limites et s’effondrèrent dans la deuxième moitié du XXe siècle, ce vide identitaire fut à nouveau présent car il n’y avait plus de mouvement massif auquel se sentir appartenir. Le fondamentalisme religieux combla ce vide.

Pour reprendre Herriot (oui, toujours lui) le fondamentalisme « comble les besoins de ceux qui ont une faible estime d’eux-mêmes. Ceux qui se sont convaincus d’être injustement traités et souffrent d’un manque de respect sont souvent les victimes de la course effrénée de la modernisation.  Ils peuvent vivre au sein de nations ou de cultures ethniques/religieuses se sentant dominées ou menacées par des nations plus riches et plus puissantes qu’elles. Ou bien ils peuvent faire partie de sociétés récemment modernisées et être victimes des restructurations liées à cette modernisation. […] Dans les deux cas, le fondamentalisme peut offrir une réponse. L’Autre, qui ou quoi qu’il soit, peut servir de bouc-émissaire. Et l’estime de soi peut être retrouvée si son identité devient celle d’un servant du Dieu chrétien qui un jour gouvernera avec Lui, ou un soldat d’Allah qui sera honoré au paradis comme un martyr. »

En résumé…

Ce qui peut apparaître comme un paradoxe au premier abord, n’a donc finalement rien d’étonnant. Si la mondialisation a certes permis la rencontre entre les cultures, le développement de moyens de communications virtuels ou réels permettant de connecter les êtres humains aux quatre coins du monde, elle a aussi bouleversé plus ou moins brutalement les sociétés, leurs économies, leurs cultures et leurs valeurs. Face à cela, certains ont vu dans les fondamentalismes un refuge, une idéologie simple et claire dans un monde de plus en plus complexe et changeant. C’est donc en opposition aux conséquences de la mondialisation que les fondamentalistes séduisent de plus en plus, même si proportionnellement au nombre de croyants, ils restent très minoritaires.

Cependant, c’est aussi grâce à cette même mondialisation que les fondamentalismes réussissent à se propager à travers le monde. Ce que nous verrons dans le dernier volet de cette série d’articles.

 


[1] Herriot Peter. Religious fundamentalism. Global, local and personal, Routledge, 2008

[2] La sécularisation est un phénomène qui voit l’autorité religieuse perdre de plus en plus d’influence sur une société, son organisation et ses mœurs.

[3] J’utilise volontairement le terme « homme » et non « être humain » ici, puisqu’au XIXe siècle le libre arbitre de la femme demeure un sujet encore assez exotique…

[4] Il ne faut bien entendu pas limiter l’apparition de ces deux courants à la seule laïcisation des sociétés occidentales, loin de là. De nombreux autres facteurs entrèrent en jeu, au premier plan desquels les contextes nationaux et internationaux, mais ce n’est pas le sujet de cet article.

[5] Peter Herriot, Religious fundamentalism, p. 24 (traduction)

fondamentalismemondialisationreligionsécularisation
Tweet
0
Fondamentalisme religieux - partie 1 / Fondamentalisme et extrémisme religieux
Le fondamentalisme religieux - partie 3 / La mondialisation, terreau du fondamentalisme

About the Author

Laëtitia

« Pourquoi l’histoire ? » C’est la dernière question qu’on me posa lors d’un entretien d’embauche il y a quelques mois. Pourquoi j’ai choisi d’étudier l’histoire ? Il y a quelques années, j’aurais simplement répondu parce que j’aime l’histoire, comme j’aime les romans. Mais aujourd’hui, avec un master recherche dans ma valise, ça m’apparait clairement : l’histoire, c’est le premier pas pour qui veut changer le monde... En savoir plus sur Laëtitia & Nota Bene

You Might Also Like

  • La société de consommation – Partie 1 / Et vous, le moral ça va ?

  • Le fondamentalisme religieux – partie 3 / La mondialisation, terreau du fondamentalisme

  • Fondamentalisme religieux – partie 1 / Fondamentalisme et extrémisme religieux

No Comments

    Leave a Reply Cancel Reply

    Bonjour & Welcome

    Bonjour & Welcome

    « Pourquoi l’histoire ? » C’est la dernière question qu’on me posa lors d’un entretien d’embauche il y a quelques mois...

    > En savoir plus sur Nota Bene

    Laëtitia Bunel

    Subscribe & Follow

    Rubriques

    • Billet d'humeur
    • France
    • International
    • Société

    Find me on Facebook

    Les réactions

    • Laëtitia dans De l’art de comprendre pour convaincre
    • GUENZET SOFIANE dans De l’art de comprendre pour convaincre
    • Laëtitia dans La question touarègue au Nord-Mali : Des racines du XXe siècle aux évolutions actuelles
    • Nico dans La question touarègue au Nord-Mali : Des racines du XXe siècle aux évolutions actuelles
    Facebook Twitter Pinterest
    Nota Bene

    Rédigé avec à Caen !

    Contact

    Site réalisé par Bumpik © 2014