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De l’art de comprendre pour convaincre

By Laëtitia • 27 janvier 2015 • Billet d'humeur

Au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo, il est plus que jamais nécessaire de chercher à comprendre plutôt qu’à simplement juger. Qu’est-ce qui a pu amener deux hommes à tuer d’autres hommes parce qu’ils avaient fait des dessins ?

Comme j’ai pour habitude de dire, on n’est pas dans les Power Rangers, personne n’agit en se disant « C’est moi, je suis le Méchant, et je suis contre vous parce que vous êtes des Gentils ! ». On est tous convaincus de faire et penser ce qui est juste. Juste pour qui, ça c’est une question très subjective, toujours est-il qu’on est tous convaincus que notre opinion est la meilleure, la plus proche de la vérité. Sans quoi ce ne serait pas notre opinion.

Le grand rassemblement du 11 janvier dernier a écrasé la portée médiatique des propos et actes intégristes ou islamophobes qui ont suivi l’attentat. Pour autant, les amalgames, raccourcis et généralisations ne demeurent pas loin. Passées l’émotion et la ferveur humaniste, on pourra les entendre à nouveau, que ce soit sur les réseaux sociaux ou entre le fromage et le dessert  le dimanche chez Tatie Claudine. Nous étions des millions le 11 janvier dernier à être debout, tête haute, pour protéger ces libertés qui nous semblaient devenues si normales et évidentes en France. Aujourd’hui je suis toujours debout, le poing levé serré sur mon stylo, prête à faire barrage aux obscurantismes de tout bord, prête à faire front… Et je reste plantée là, sans vraiment savoir quoi faire.

Je ne suis ni femme politique, ni personnalité publique, à vrai dire je ne suis même pas en France au moment où je vous écris. Je ne suis qu’une petite personne lambda perdue parmi des milliards. A l’échelle du monde ou même de la France, ma voix ne porte pas bien loin, il faut être honnête. En revanche à l’échelle de mon entourage, c’est différent.  Et c’est pareil pour vous.

On a tous un Tonton Robert pour nous rappeler que « les arabes, c’est des sauvages » et « qu’avec tous ces musulmans, on n’est plus chez nous. » A moins que ce ne soit Patrick, le collègue complotiste de la machine à café. Ou encore Michelle, la nounou du petit dernier qui vous confie à voix basse d’un air entendu, qu’elle n’est pas raciste, « mais comme par hasard, les délinquants des banlieues sont plutôt des Ahmed Ben Machin que des Gustave Durand. »

« Les », « tous », « ils », autant de généralisations approximatives construites à partir de quelques cas, mais dites avec tant d’assurance qu’essayer de discuter paraît d’avance inutile. En plus, Tonton Robert est au fond quelqu’un d’adorable et on n’a pas envie de plomber l’ambiance du repas de famille ; quant à Patrick, c’est votre n+1 ; et il est hors de question de se brouiller avec Michelle, c’est la seule nourrice disponible dans les vingt kilomètres alentours.  De toute façon, ce n’est pas en cinq minutes qu’on pourra les faire changer d’avis et, sans vouloir leur manquer de respect, ce ne sont pas Robert, Patrick et Michelle qui vont changer la face du monde.

Eh bien si justement.

D’une part parce qu’ils ont le droit comme vous de déposer un bulletin dans l’urne, d’autre part parce que leur opinion va désormais au-delà du clocher du village. Twitter et facebook sont les nouveaux comptoirs auxquels on s’accoude pour vider son sac, à la différence près que le sentiment d’anonymat délie plus les langues que trois Ricards, et que ce ne sont plus les trois habitués et le barman qui vous écoutent, mais potentiellement le monde entier.

Ne rien dire à Robert, Patrick ou Michelle sous-entend donc que vous ne trouvez aucun argument à opposer à leurs idées et admettez de facto qu’ils ont raison. A l’inverse, « pauv’ type », « gros con », « va te faire foutre » et autres variations fleuries, si elles ont le mérite de soulager, ne sont pas les meilleurs arguments pour qu’ils aient envie de remettre en question leurs idées. Et on les comprend. Qui a envie d’admettre que la personne qui vous a traité de « Gros Con » a raison ?

Je parle de Patrick, Robert et Michelle, mais je pourrais aussi parler d’Antonio, Ahmed, Yasemin, Jane, Hans, Yi ou Vladimir. Même des frères Kouachi, Ben Laden, des partisans nazis et autres fervents défenseurs de la paix et la tolérance. Aucun, même les plus cruels, agissent ou n’ont agi en se disant qu’ils étaient les Méchants. Tous sont ou étaient convaincus de penser et faire ce qui est ou était juste à leurs yeux. C’est là justement qu’est toute la difficulté.

Qu’on soit d’accord ou pas, toute opinion découle d’un raisonnement qui se veut logique. C’est justement toute la force d’une conviction : elle n’est pas choisie au hasard mais émane d’une réflexion, et plus longue sera cette réflexion, plus forte sera la conviction. Quelle qu’elle soit.

Si nos idées découlent de la logique, pourquoi n’avoir alors pas tous le même avis ?

Le problème est le même qu’en mathématiques. Si on admet en mathématiques que A = 5 et B = 3, alors A + B = 8. Le raisonnement est logique et implacable. Aucun mathématicien ne remettra en cause le fonctionnement d’une addition. En revanche, certains pourront dire qu’ils ne sont pas d’accord sur les paradigmes de A et B, c’est-à-dire sur les valeurs fixées de A et B. Un mathématicien pourrait par exemple se lever et dire qu’il n’est pas d’accord, A n’est pas égal à 5 mais à 2. Dans ce cas, A + B = 5, plus 8. Ce n’est pas le principe de raisonnement qui est remis en cause, mais l’exactitude des données utilisées. Autre cas : A = 5 pommes et B = 3 poires ; certains seront tentés de faire l’amalgame entre les deux. Pommes, poires, c’est presque pareil ; donc A + B = 8 pommes. Là, notre mathématicien pourra dire que c’est faux également. Non pas parce que les données sont fausses. Il y a bien au départ 5 pommes et 3 poires, mais parce qu’on a additionné deux éléments qui ne sont pas semblables. Mais là encore, ce n’est pas le principe de raisonnement, l’addition, qui est remis en cause, mais les données utilisées.

De la même façon, ce n’est pas parce que l’Autre n’a pas la même opinion que vous qu’il réfléchit mal. Simplement il faut connaître toutes les données de son calcul. C’est en décomposant les données à l’origine de son point de vue que vous pourrez comprendre sur lequel vous n’êtes pas d’accord, s’il s’agit d’une donnée erronée, de l’association de deux données qui ne peuvent s’additionner, ou bien d’une donnée cachée, comme une expérience personnelle.

Prenons l’exemple de Tonton Robert. Voici son raisonnement simplifié en addition :

Schéma de pensée qui amène Tonton Robert à dire « avec tous ces musulmans, on n’est plus chez nous »

Tonton Robert est sincèrement convaincu que son raisonnement est bon. Tout autant que vous. Pour l’amener à éventuellement remettre en question son point de vue, il faut non pas lui opposer frontalement d’autres arguments, mais aller chercher toutes les raisons, tous les arguments qui l’ont amené à cette opinion et les décortiquer avec lui. Peut-être pas en une seule fois, mais petit à petit, dès qu’il se lancera dans une nouvelle litanie de « tous des ».

De ce que j’ai retenu d’un cours de négociation il y a quelques années, il y a notamment l’impérative nécessité de rester uniquement sur le plan des idées et ne pas transformer la discussion en attaque personnelle. Critiquer l’idée, pas la personne. Parce qu’admettre que notre point de vue n’est pas le seul possible est toujours plus facile qu’admettre qu’on est un idiot fini.

Alors que des manifestations islamophobes et anti-islamophobes s’égrainent aux quatre coins de l’Allemagne, que les discours islamophobes et islamistes se font entendre en France, que Twitter et Facebook regorgent de phrases toutes faites et d’attaques personnelles, plus violentes qu’elles se pensent anonymes, il est plus que jamais fondamental de comprendre d’où viennent les opinions, comment elles se fabriquent et comment, par la logique et la patience, il est possible de les faire évoluer sans pour autant tomber dans un combat d’ego. Michelle et Tonton Robert ne sont pas de « sales racistes » convaincus que certains hommes sont inférieurs à d’autres. Ils sont xénophobes, ce qui signifie littéralement qu’ils ont « peur de l’étranger », du moins ce qu’ils considèrent comme être étranger. Comprendre cette peur, la rassurer et les convaincre que leurs propos ne sont pas exacts n’est qu’une goutte dans l’océan, c’est vrai. Mais multipliée par des millions, chaque goutte forme une gigantesque marée qui peut faire bouger les lignes vers plus de tolérance. Changer le monde, c’est d’abord changer son monde.

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« Pourquoi l’histoire ? » C’est la dernière question qu’on me posa lors d’un entretien d’embauche il y a quelques mois. Pourquoi j’ai choisi d’étudier l’histoire ? Il y a quelques années, j’aurais simplement répondu parce que j’aime l’histoire, comme j’aime les romans. Mais aujourd’hui, avec un master recherche dans ma valise, ça m’apparait clairement : l’histoire, c’est le premier pas pour qui veut changer le monde... En savoir plus sur Laëtitia & Nota Bene

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2 Comments

  • Reply GUENZET SOFIANE 7 octobre 2016 at 12 h 16 min

    Bonjour, je trouve votre approche Excellente, Originale et colle parfaitement avec la citation d’Ibn Rochd, bravo et merci
    Cordialement, GUENZET SOFIANE

    • Reply Laëtitia 15 octobre 2016 at 14 h 08 min

      Bonjour,
      merci beaucoup pour votre retour. J’espère que l’article vous aidera à propager plus de compréhension du monde et donc de tolérance.
      Cordialement.

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